Léon Magre était un jeune homme ayant grandi dos à la plage, le corps projeté vers le large et les yeux emplis par l’horizon azuré de l’océan qui s’étendait devant le port. Cet inclination géographique avait été attisée dès l’appareillage hors du berceau par les récits grandiloquents des aventures voyageuses des marins faisant halte dans ces eaux. Leurs promesses de périples et d’exploits servaient d’astrolabe au-dessus de sa destinée.
Il était tellement absorbé par ces histoires océaniques que son esprit entier roulait au rythme de la marée, avec une profondeur qui n’excédait malheureusement pas celle de l’écume. Il souscrivait sans broncher aux vantardises de ses modèles, qui affrontaient des monstres avalant les navires et le quart de l’océan d’une seule bouchée. Subjugué de les voir encore vivants, il comptait bien pourtant les dépasser dans les livres d’histoires. Face à la mer, leurs odyssées résonnaient à son oreille dans le bruit des vagues. Il avalait leurs affabulations et escomptait dévorer l’océan, au risque de boire la tasse dans l’étendue de ses ambitions.
Il avait esquissé un certain mimétisme avec des succès mitigés. Il refusait avec force le terme de « bout » et indiquait le chemin en un patois personnel : « deux fois à poupe puis vers la tribord ». Ses doigts pâtissaient d’être partie intégrante des boucles de ses nœuds. Sa première montée à bord se termina brutalement par une autre ascension, de son estomac au pont du navire.
Certains us de ses héros demeuraient encore mystérieux à sa compréhension. Comme leur précipitation, à peine rentrés, vers une maison à l’écart du village, que sa mère vilipendait véhémentement.
Certains de ses mentors avaient bien essayé de lui expliquer, avec des mots adéquats pour sa candeur, qu’en plus de la mer, d’autres maîtresses pouvaient faire monter le désir comme la marée, puis qu’il fallait tenir la barre pour naviguer entre les crêtes déchaînées – avant de prendre le large pour éviter de rester amarré aux récifs des sentiments. Mais cela restait obscur pour un ingénu qui ne rêvait que des courbes des coques.
L’illumination lui vint d’un doux visage dont les yeux étaient décorés aux couleurs des rochers gardant le départ vers le large. Sa détentrice lui offrait un cœur plus grand que la mer sur lequel naviguer. Et à défaut d’en avoir un dans chaque port, il en avait un là où il s’était définitivement amarré. Depuis ce jour, les délices d’un paradis terrestre avaient remplacé les rêves écumeux. Il ne parvint jamais à dominer les flots, car il avait une rêverie plus divine sur laquelle flotter.