Au pied des Alpes vaudoises, se cachent des mines dont les méandres nous en­traînent dans une longue suite de souvenirs. Pour les atteindre, il faut gravir les petites pentes du Chablais – car, chez nous, il est normal de commencer par s’élever pour pouvoir ensuite s’enfouir. C’est ainsi que l’on peut s’engouffrer dans plus de cinquante kilomètres de galeries, à la poursuite de cet or blanc au goût de mer ; attiré vers lui comme les chèvres du XVIème siècle qui buvaient dans les sources sortant de cette roche, car l’eau salée leur plaisait davantage.

Ainsi, l’on s’enfonce dans d’obscures et tortueuses galeries, où la lumière de la torche révèle les formes fantastiques de la roche. Soudain, l’on arrive sous l’un des puits qui avaient été creusé pour atteindre le précieux minerai : un long tube dont l’ex­trémité découvre le ciel bleu. En poursuivant les rails des chiens de mine, on atteint fi­nalement les anciennes sources, où l’eau chargée du précieux minerai était extraite. Puis elle filait dans les troncs de mélèze creusés, pour se déverser dans les grands ré­servoirs d’eau, lacs souterrains aux reflets obscurs. La roue à aube la faisait ensuite re­monter à la surface.

Depuis plus de trois siècles, les mineurs se sont enfoncés dans ces étroites gale­ries, pas plus grandes qu’eux, à la recherche de la source d’eau salée, cette saumure qui avivait les espoirs ! Ils travaillaient sans relâche pour extraire leur salaire de la roche, progressant seulement de cinq mètres par mois, deux lorsqu’il fallait creuser les esca­liers en descendant. Et cela pour plusieurs centaines de marches ! Là-bas, l’on dit que c’est la « sueur des hommes qui a salé la pierre ». Ils avançaient dans la pénombre, entre la roche et le sel, au son des marteaux et des cisettes. Toujours par deux, un droi­tier, un gaucher – histoire que le tunnel reste droit –, et s’orientant uniquement avec les sons de l’autre équipe ainsi que l’aiguille d’une boussole.

Plus tard viendra la poudre noire, rajoutant un nouveau danger. Car s’enfouir dans les cavernes peut aussi vous exposer à un péril moins bruyant, dont la présence ne se révèle que trop tard. Le gaz vous entoure et vous tue sans prévenir dans un va­carme effroyable, au milieu duquel on entendait les cris surgir de la roche ! Il n’y a pas qu’à Montsou que les mineurs devaient redouter le grisou !

Quelques fantômes doivent bien encore arpenter ces souterrains montagneux pour poursuivre leur tâche. En tendant l’oreille, peut-être que leurs coups de marteau s’entendent encore la nuit. Mais au cœur de ces cavernes obscures, ce ne sont pas les seules créatures qui peuplent nos montagnes. En effet, déjà au temps de la découverte des sources d’eau salée, les bergers entendaient à travers la roche le bruit des pioches des lutins, premiers exploiteurs des richesses de la montagne, que les mineurs ont dû faire fuir…

Mais qui se souvient encore de tout cela face à l’armoire de sa cuisine ?