Cette pitoyable pièce dans laquelle chacun se perd en tentant de jouer son propre rôle semble ne jamais se terminer. Elle qui, depuis notre naissance jusqu’à notre mort, guide nos pas dans cette histoire sans sens où nous côtoyons d’autres fous en train de jouer le rôle qui leur fut attribué. Pendant ce temps, cachée derrière d’aveuglantes lumières, une masse informe et sans fin nous juge, acclamant ou vilipen­dant le moindre de nos gestes. Ainsi va le tragique spectacle dans lequel nous vivons. N’offrant à ses comédiens d’autre finalité que l’instant où nous saluons, avant de quit­ter la scène.

Je m’étais moi-même abandonné au banal destin qu’on avait écrit pour moi, sans chercher à faire plus que jouer mon existence du mieux que je le pourrais.

Mais voilà qu’un jour tu t’es glissé sur scène sans prévenir. Et soudain je me suis immobilisé, sans plus savoir quoi dire ou quoi faire. Pour la première fois je ne me sen­tais plus pris dans une routine sans fin. Étrange sensation que celle de se sentir de nou­veau soi, de ne plus prêter attention au décor, aux autres personnages ou au public. Tu étais la seule chose sur laquelle pouvait se concentrer mon esprit. Pour la première fois je ne savais plus ce que je devais faire. Je ne pouvais plus que te suivre des yeux. Alors j’ai décidé de changer le rôle que je tenais, je ne voulais plus de lui. Je me suis approché de toi, et je me suis créé un nouveau rôle. Un rôle dans lequel je serais avec toi, que nous jouerions ensemble. Un rôle enfin où nous ne jouerions plus lorsque nous se­rions tous les deux. Car je ne veux plus devoir agir pour d’autres, je ne veux plus at­tendre de jugement, si ce n’est de toi. Je veux me perdre dans une scène infinie unique­ment entre nous, ne plus être ébloui que par tes yeux, ne plus apprendre un texte pour des gens qui n’écoutent pas, mais créer mes mots pour ton oreille. Quand nous sommes réunis, je ressens enfin ce que cela fait de vivre, sans faux-semblants, sans pa­rures pour me dissimuler, sans faire disparaître ce que je suis derrière le masque que veulent voir les autres. Ensemble nous n’aurons plus rien à attendre de cette masca­rade car nous aurons déjà tout ce qu’il faut pour être nous-mêmes, et être heureux. Plus d’apparences, plus d’hypocrisie, seulement nous deux. Ainsi nous pourrons enfin sortir de cette pièce écrite pour ceux qui n’ont rien à créer, à transformer. Nous nous débarrasserons de cette prison qui nous retient en secret, nous ferons mourir nos per­sonnages. Et si même ensemble nous ne parvenons pas à briser ces chaînes, si nous restons enfermés avec ces rôles… Alors finissons nos représentations immédiatement. Si c’est la seule solution pour arrêter cette farce tragique et pouvoir te serrer dans mes bras aussi longtemps que je le voudrai, sortons de scène. Mourrons sur scène ensemble plutôt que de devoir continuer ces rôles solitaires !