Les murs de la salle de réception vibrent par résonance des discussions. La décoration du théâtre a été restaurée avec talent et est des plus soignées. C’était trop d’efforts pour les personnes peuplant ce parquet lustré. Elles sont dignes d’une ménagerie. On entend les doux rires des hyènes, l’originalité des discussions des perroquets ou la qualité des discours des dindes. Nos doigts pourraient trouver le cuir de quelques peaux de vache tandis que nos yeux profitent du défilé des paons et coqs. Ces créatures sont toutefois des chimères, puisqu’elles disposent toutes d’une langue de vipère. Pas sûr que cette faune mériterait sa place sur l’arche en cas de déluge. Les ragots virevoltent de bouche à oreille. On parle du nouveau théâtre, du retour de la pluie, des voisins, des feuilles mortes,… le tout dans des discours dont la platitude ferait passer la Belgique pour l’Himalaya.

Les portes s’ouvrent enfin pour nous laisser nous glisser dans nos sièges. La lumière s’éteint et le rideau se lève. Le décor luxueux est finement détaillé. Les costumes sont du même acabit. Les personnages entrent sur scène avec grâce. La pièce commence et toute notre attention devient obnubilée par une seule constatation : quel jeu atroce !

Les acteurs déclament leurs répliques avec la passion qu’ils mettraient à lire le code de la route. Le texte n’aide pas, se croyant subversif mais provoquant moins de remous qu’un grain de sable jeté dans l’océan. Les prétendues profondes révélations sont dignes des slogans imprimés sur des t-shirts souvenirs. Au moins, les comédiens nous font découvrir des capacités insoupçonnées. J’ignorais que l’on pouvait rater le ton d’un silence. Ils défient les règles de probabilité qui voudraient qu’ils tombent juste, au moins une fois, même par accident. Ou alors est-ce la pièce qui se déroule dans un monde parallèle où tout le monde parle sans émotions ou en souffrant de troubles bipolaires ? En tout cas, elle devrait servir de test de résistance pour les cosmonautes afin de les préparer à des conditions de vie hostiles.

J’avais lu une critique élogieuse du spectacle, vantant la puissance du texte, la magnificence du jeu et l’audace de la création. Personnellement, c’est surtout l’audace du critique qui m’impressionne. L’auteur souhaiterait « déstructurer le théâtre pour interroger notre rapport aux autres » – et à la syntaxe visiblement. Nul doute qu’une telle contemporanéité a dû recevoir un grand nombre de subventions.

Tiens, que se passe-t-il ? Un comédien a un blanc. Plus personne ne dit rien ; quel soulagement ! Malheureusement la sérénité ne dure pas éternellement et, comme un troupeau de camions qui passeraient tout à coup pendant que vous regardiez un soleil couchant, les autres comédiens viennent en secours à l’étourdi et recommencent le flot de paroles.

L’agonie de nos tympans se poursuit jusqu’à ce qu’enfin un doux son monte à nos oreilles, celui des applaudissements qui annoncent la fin de cette soirée.