Temps de chien ! Il y a tellement de gouttes qu’on ne voit plus le bout de la rue. En plus il y a du vent. J’aurais dû rester au bureau, je suis sûr que j’aurais réussi à trou­ver un collègue en train de ne rien faire pour discuter avec moi. Le niveau de la conver­sation n’aurait quand même pas été aussi horrible que ce temps. Même s’il ne faut ja­mais les sous-estimer en ce qui concerne leur capacité à sonder la nullité et le vide. Mais je n’aurais même pas pu essayer de parler avec Delphine, vu qu’elle ne travaille pas aujourd’hui. Forcément, c’est le jour où j’aurais eu une excuse pour rester. Enfin, vivement que j’arrive chez moi ! Ma peau est déjà aussi humide que mes fringues.

Mon chapeau s’envole ! Saleté, reviens ici ! Mon crâne était tout ce que j’avais de sec. Je cours à sa poursuite dans un concert de « splotch » provenant de mes vête­ments. Il glisse entre les pieds des passants, qui n’ont vraiment pas décidé de me facili­ter la tâche : ils pourraient faire un effort pourtant !

J’y suis presque, il m’échappe de quelques centimètres, ça y est ! Je le tiens ! Il s’est arrêté contre les jambes de… Delphine !? Qu’est-ce qu’elle fait là ? Elle me sourit et me dit bonjour. Je me relève dans un grand « splatch », remets mon chapeau et me prend une douche : bonne entrée en matière. J’essaye de répondre, mais je suis encore sous le choc et ne parviens pas à produire un son plus articulé que celui de mes vête­ments. Elle me demande où je vais. Suite à mon grand geste flasque indiquant le sens inverse de mon chemin, elle me propose de partager son parapluie. Pourquoi faut-il que je me retrouve seul avec elle quand je sens le chien mouillé ?

Nous marchons tranquillement, j’essaye de me placer sous le parapluie tout en ne la collant pas de trop près, dans un difficile jeu d’équilibre où je me retrouve sou­vent au bord, sous la chute d’eau. Mon chapeau va faire piscine à mouches ; ça change­ra de ma patinoire.

J’ai du mal à ne pas laisser mes yeux en permanence sur son visage. Elle est telle­ment magnifique. Sa peau est d’une telle pureté, ses longs cheveux noirs, légèrement mouillés, se collent le long de sa joue dans un délicat contraste. La blancheur de sa peau éclate encore plus sous ce temps orageux et…. Depuis quand a-t-elle recommencé à parler ? J’ai raté un morceau. Je vais faire des mouvements de tête en acquiesçant, sur un malentendu ça peut marcher. Je sens que je vais encore pouvoir briller par mon ta­lent de conversation. Pourtant je sais que j’ai plein de choses à lui dire, en tout cas dans mes rêves, j’en ai. Elle se tait. Je crois que c’est à moi de parler… Eh bein voilà, voilà…

Nous arrivons à un croisement, elle me dit qu’on doit se quitter là. On se sépare. Je m’éloigne. Je sens sa présence disparaître derrière moi…

« Tu veux pas qu’on aille boire un verre ? »

Pourquoi je me suis retourné pour hurler ça ? Elle va me prendre pour un fou, je suis foutu. Par où est-ce que je peux fuir ? Elle se retourne : trop tard !

Pourquoi sourit-elle ?