Sophie. Ces six lettres résumaient tous mes rêves, toutes mes attentes pour l’avenir ! Il faut dire qu’elles résumaient aussi ce qu’il y avait de plus beau sur cette Terre ! Chaque détail qui s’offrait à mes yeux lorsque que je la regardais m’émerveillait d’un nouvel éclat ! J’aurais pu la contempler comme l’on regarde une peinture de grand maître, une sculpture censée incarner la perfection, ou comme ces sublimes réalisations que le paysage offre au regard des voyageurs, chefs-d’œuvre que la nature créa. Je me voyais déjà, dans quelques jours, quelques semaines tout au plus, la serrant dans mes bras face à un magnifique soleil se couchant dans le lointain. Je sentais tout mon être irrésistiblement attiré vers ce tableau. Rien qu’en pensant à ce doux avenir, je me sentais empli d’une agréable chaleur. Je pouvais déjà sentir sa présence à côté de moi, et je savais que mon bonheur serait absolu à ce moment. C’était mon horizon d’attente et d’espérance, comme l’on dit.

Cependant, afin de m’éviter de douloureuses déconvenues, j’aurais sans doute dû prêter plus d’attention à la définition d’« horizon » : « ligne imaginaire qui s’éloigne au fur et à mesure que l’on avance. » Cela résume assez bien la suite de mes mésaventures avec Sophie. Plus j’avais l’impression de m’approcher de mon objectif final, plus il semblait glisser entre mes doigts, s’échapper toujours un peu plus loin. Pourtant je sentais bien que je progressais, que je me rapprochais de ce que j’avais en ligne de mire. Je fixais clairement un point à atteindre, je le gardais en permanence dans mon viseur tandis que j’avançais, je parcourais la totalité du chemin qui me séparait de lui, je gravissais des montagnes ! Mais arrivé au sommet, je voyais simplement de nouvelles vallées à traverser et d’autres obstacles à franchir. Plus grave, je pouvais voir un autre voyageur déjà installé sur les prochains monts. Et cela se répétait sans cesse, à en désespérer d’atteindre le but final. Je commençais à devenir fou à force de voir mes rêves se dérober sous la pression de la réalité. Je commençais à croire que ce petit jeu durerait éternellement…

Finalement, après des mois à lutter, j’ai abandonné l’idée de rejoindre mon horizon. Contraint par une loi plus puissante que ma volonté. Ce ne fut pas simple, car il restait en permanence devant mes yeux, m’invitant à le contempler et à le poursuivre. Mais, malgré cette présence permanente, j’appris à regarder davantage les beautés qui m’entouraient de plus près. Non par abandon des rêves et de l’ambition d’atteindre des sommets, mais parce qu’avoir les yeux en permanence rivés sur le lointain peut occulter de votre vue les merveilles qui sont à côté de vous. Et quelle merveille y ai-je trouvé !